Des Parisiens réclament «de nouvelles méthodes» contre le crack à Paris
Le FigaroLuc Lenoir
Publié à 06:00
INFO LE FIGARO - Une fédération de riverains dénonce dans un document commun la mainmise des associations sur les salles de shoot et recommande un modèle visant la désintoxication.
Anne Hidalgo, férue de démocratie «participative», acceptera-t-elle de «co- construire» la future stratégie anti-drogues à Paris ? Dans un document consulté par Le Figaro, une fédération de riverains parisiens excédés par l'explosion de la consommation de crack s'adresse une nouvelle fois aux pouvoirs publics. Cette fois, pas seulement pour rapporter des plaintes, mais pour formuler des propositions concrètes de prise en charge des toxicomanes. Avec une ligne directrice : sortir d'urgence de la «consommation contrôlée» des drogues, actuellement prônée par la mairie de Paris, et relancer les objectifs de désintoxication.
L'ensemble des mouvements de protestation parisiens s'est réuni pour plancher sur le sujet, soit dix-neuf collectifs et dix associations* des quartiers touchés, ainsi que le Musée du Chocolat, directement concerné par un projet de salle de
prise en face de son entrée sur le boulevard de Bonne-Nouvelle[1], alors même qu'il accueille 40.000 à 50.000 enfants à l'année.
Les centres de soins n'ont pas d'obligation de résultat
Cette fédération souligne d'abord qu'elle s'oppose au modèle thérapeutique de
«réduction des risques» en vigueur, pointant son absence de résultats. Consommation globale en hausse, problèmes de sécurité en pleine explosion, «plan crack» pour rien : les protestataires évoquent le «théâtre sordide» du nord-est de la capitale et de la proche banlieue. La salle de shoot actuelle, de même, «ne présente aucun résultat concret concernant la sortie de l'addiction : l'objectif voulu et atteint par cette salle se limite à offrir aux usagers de drogues des conditions sécurisées pour consommer leurs produits», dénonce la fédération, qui cite l'Académie nationale de médecine - «il convient de traiter, et non d'entretenir» - pour déplorer que cette approche se soit imposée dans le secteur de l'addictologie. Elle critique également une forme d'impuissance assumée : «Cela fait 30 ans que la France pratique exclusivement la réduction des risques. De ce fait, la question de la sortie de la toxicomanie a été évacuée au profit du 'comment vivre avec la drogue, comment vivre en étant toxicomane'.»
Le dossier monté par les collectifs et associations de riverains pointe un conflit d'intérêts qui pourrait selon elles expliquer ce manque de résultats : l'État est «conseillé par les grandes associations professionnelles, nécessairement juges et parties car financées par l'État lui-même». En clair, les associations qui gèrent les centres de soin, et touchent donc des dizaines de millions d'euros de subventions à ce titre, préconisent elles-mêmes l'ouverture de nouveaux centres... Et sont écoutées par la mairie de Paris et d'autres collectivités publiques, déplore la fédération. Dans les rapports d'activité, l'inexistence d'obligation de résultat se traduit d'ailleurs par une absence de données concernant la sortie de la toxicomanie.
La politique actuelle d'ouverture d'autres salles de consommation enferme le toxicomane dans son environnement
Témoignant auprès de la fédération de riverains, François Diot, thérapeute et ancien chef de service d'un CAARUD (Centre d'Accueil et d'Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues), ne nie pas que la politique de «réductions des risques» a obtenu certains succès, essentiellement sur les contaminations : «en ce qui concerne la baisse de transmission du VIH, les objectifs sont atteints. Mais la toxicomanie en elle-même n'est pas traitée : selon l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) , seuls 10% des usagers de CAARUD sont orientés vers les centres de soins», déplore-t-il auprès du Figaro. «Les budgets dans le secteur sont énormes, mais on oublie le soin en lui-même. La politique actuelle d'ouverture d'autres salles de consommation enferme le toxicomane dans son environnement». À la clé, peu
de chances de sortir de l'addiction, et des nuisances qui ne baissent pas pour les riverains.
Sur le plan de la tranquillité, ces derniers s'alarment de la création de «zones de deal» dans plusieurs quartiers si la mairie de Paris met en place les «haltes soins addiction», et un éventuel «périmètre d'immunité» dans lequel les consommateurs ne seraient pas inquiétés en cas de possession de substances illicites. Des zones dont la préfecture de police réfute l'existence : «aucun périmètre d'immunité, de quelque sorte que ce soit, n'existe autour de ces structures, qui jouent un rôle important de santé publique.» En septembre, une
mission d'information parlementaire[2] faisait état d'«une immunité pénale [...] prévue pour les usagers [...], limitée aux faits d'usage et de détention pour usage commis dans l'enceinte des salles».
«Modèle Minnesota»
Loin de ces accommodements, les citoyens défendent les politiques rendant au contraire possible la «rupture avec la consommation au travers de l'abstinence», un objectif qui impliquerait un changement total de paradigme dans les politiques publiques. Le document évoque ainsi le «modèle Minnesota», mis en place à partir des années 1950 dans les pays anglo-saxons, la Suisse ou le Portugal. Jean-Paul Bruneau, ancien policier des stups reconverti dans l'association de désintoxication Espoir Du Val d'Oise, décrit cette méthode : «quand on s'intéresse à la personnalité des toxicomanes, on voit que l'entraide et le dialogue permettent de travailler sur les émotions qui amènent à un besoin de consommation de drogue. Le principe du modèle Minnesota est donc celui des groupes de parole», comme les Alcooliques puis les Narcotiques anonymes. «Je voyais les gens dont nous nous occupions rechuter. Puis nous avons travaillé avec le centre APTE fondé sur ce modèle, et obtenu des succès, à partir des années 1990.» Le travail implique néanmoins de couper le toxicomane de son environnement, à rebours des centres actuels parisiens «qui font de l'ambulatoire», dénonce Jean-Paul Bruneau.
«L'addictologie en France ne peut pas faire comme si ces alternatives n'existaient pas», souligne le dossier monté par les riverains, qui demandent d'intégrer l'objectif d'abstinence dans le processus de soin, et la mise en place d'équipes mobiles de soignants, «qui pourraient hospitaliser les usagers qui en ont besoin dans des unités psychiatriques dédiées, plutôt que de les laisser en danger dans la rue où leur libre arbitre est annihilé par leur consommation de crack.»
Dans leur lettre au président de la République, les collectifs parisiens évoquaient ainsi dès octobre dernier les «communautés thérapeutiques dont les résultats sont probants. Éloignées des concentrations urbaines, elles permettent aux addicts de rompre avec les milieux de la consommation et du trafic, tout en assurant leur réinsertion sociale et professionnelle». Le nouveau document de
travail reprend cette demande d'une «approche de soins différente» et d'une stratégie qui recueille enfin l'aval des citoyens, principaux contributeurs financiers de l'action publique.
*Liste des collectifs et associations :
- Collectifs : Collectif19 / Collectif 93Anticrack / Crack Grands Boulevards /Faubourg Saint-Martin/Place Henri Frenay BASTA Cosi/ Marcadet/ Mazagran /Ne Crack pas le XXe/Les Pères de Stalingrad / Les Plumes 75 / Pas de crack rue de Meaux / Paris Anti Crack/ Passage du Prado / Riverains Lariboisière Gare du Nord / Rue de la Fidélité /Rue René Boulanger Paris 10/ SOS Pajol Girard / Stop Crack Eole / Villette Village
- Associations : ASA PNE / Défendons le XXème / Demain La Chapelle / Quartier Bellevue 75019/ Renaissance des jardins Éole / Riverains rue René Goublier/ Union Parisienne / Vivre Gare du Nord et Est / Vivre! Bd de Strasbourg - Fg St-Denis St-Martin / Vivre le Marais, Vivre Paris Centre !
- Le Musée du Chocolat - Choco Story Paris
Le Figaro.fr: - https://www.lefigaro.fr/actualite-france/des-parisiens-reclament-de-nouvelles-methodes-contre-le-crack-a-paris-20211129
1) https://www.lefigaro.fr/actualite-france/a-paris-les-projets-de-salle-de-shoot-sement-de-plus-en-plus-le-doute-20211007
2) https://www2.assemblee-nationale.fr/content/download/406848/3969042/version/1/file/Synth%C3%A8se+mission+flash+SCMR.pdfEntrez votre texte ici...